lundi 21 mars 2011

Kitsch : "à peu de frais..."


Au sens courant, le "kitsch", c'est le toc, le clinquant, l'art bon marché (lié à la reproduction industrielle). 
En un sens plus élaboré, c'est ce qui s'obtient "à bon marché" - dont le "bon marché" n'est que la version la plus évidente. 
Mais "à bon marché" signifie : 
- quand on est créateur : en se dispensant d'un "effort du cœur" ; 
- quand on est consommateur : en se dispensant de l'effort d'approfondir, de cultiver son regard etc. 
Au sens moral (Kundera), la "kitschisation de l'existence" consiste à se donner, à peu de frais, un label de moralité, d'esthétique : ripoliner son moi en surface et briller sans fatigue. 

Le kitsch, c'est donc, en règle générale : peu de cause pour beaucoup d'effet. C'est le principe d'économie : peu d'argent, peu d'effort, peu de réforme intime, peu de contraintes. C'est le plus rentable : ce qui a un "fort retour sur investissement".
L'académisme y tombe inéluctablement : on apprend (parfois laborieusement) à obtenir certains effets en maniant certaines causes avec la technique nécessaire et,ensuite on répète inlassablement ces causes sans se réformer, sans évoluer. On fait des gâteaux dans un même moule. L'effort d'apprendre dispense définitivement de l'effort de se changer. L'effort est fait une fois pour toutes. 
Ex. : le Parnasse, qui mit au point un méthode assez facile pour faire des vers d'apparence difficile (Valéry dixit). 
Le kitsch vise l'effet. C'est aussi le propre de l' "esthétique des effets", de Poe, puis de Valéry, selon laquelle il faut savoir manipuler le lecteur en le connaissant bien, de manière à en faire son pantin ("La littérature est l'art de se jouer de l'âme des autres"). Heureusement, Valéry ne visait qu'un lecteur très exigeant, très intelligent, très savant (lui-même, au fond). Il en fit donc une esthétique dédaigneuse de toute forme de facilité. 
Mais si on applique cette esthétique des effets à un public médiocre, on obtient les pires dégoulinades esthético-sentimentales du cinéma commercial, qui sait parfaitement caresser le public vulgaire (pléonasme) dans le sens du poil. 

Le kitsch, c'est donc, plus encore que le mauvais goût, la pente de la facilité, du moindre effort. Le "mauvais goût" que l'on décèle dans kitsch, c'est le pressentiment, la fadeur de  cette faiblesse de la volonté. 
Cette pente ira au plus bas, au plus laid, au plus chargé, et au plus commun. 
Sans avoir l'air d'y toucher, c'est ce que laisse entendre Sinclair Lewis dans son Babbitt (un peu oublié) : tout le monde a les mêmes idées (si on ose employer ce grand mot) ; tout le monde a le même appartement identiquement décoré. 
Cf. chap. VII  : "... deux maisons sur trois aux Hauteurs Fleuries avaient, devant la cheminée un divan, une table en acajou, ou en imitation, et une lampe de piano avec un abat-jour en soie jaune ou rose". Ce "ou rose" est un délice d'ironie : on a quand même sa petite touche personnelle... (2 autres passages similaires au début du chapitre).

Bref, le kitsch, c'est la paresse et la veulerie rendues sensibles aux yeux.