dimanche 21 mars 2010

Sur la diagonale en peinture

Ce qui frappe dans la peinture française du XVIII°, la vraie, celle des Fragonard, des Boucher, non celle des postlouisquatorziens ou des néoclassiques, c'est l'importance de la diagonale structurant un tableau, un portrait. D'où une impression de vie, de mouvement, de légèreté, voire de frivolité. Les portraits tournés, l'escarpolette, etc. En opposition à la rectitude, à la symétrie, aux valeurs morales strictes, la diagonale dévie. Elle symbolise l'humour, le libertinage, la "sé-duction", la frivolité. Et, surtout, le plaisir. La ligne verticale, organisée avec les horizontales, est immédiatement perçue comme rappel architectural, et donc comme rappel à la dure loi des équilibres réels (Cf. Caillois : il n'y a pas, et pour cause, d'architecture surréaliste). Rappel au principe de réalité, contre le principe de plaisir. La ligne droite bâtit ; la diagonale jouit. La diagonale ne peut être sérieuse que si elle est "compensée" (c'est le mot propre : poids contraire) par sa symétrique, formant ainsi la très architecturale pyramide, peu propice à la volte, à la virevolte, au désinvolte. Les néoclassiques adorent les viriles lignes droites contre les courbes féminines (Ingres en souffrira) ; mais aussi les verticales et horizontales, le fil à plomb, la loi du monde, auquel doit se soumettre la loi du désir - les temples, les colonnes. Avant le classicisme, la sculpture archaïque grecque p. ex., est très verticale, très soumise à la pesanteur. L'architecture est un art où la diagonale est possible, mais difficile : il faut la contrepeser par un artifice quelconque, mais qui n'apparaisse pas trop. La diagonale est donc plus aisément picturale, car la toile, comme le papier, "souffre tout", y compris les équilibres impossibles. Fragonard pratique à la fois le portrait express (fait, dit-on, en une heure, comme celui de Diderot), et le portrait diagonal, où le modèle ne semble guère "poser", ni, pour parler comme Verlaine, "peser". Le classique, et surtout le néoclassique, n'admet la diagonale que s'insérant dans un plan d'ensemble ou vertical, ou, du moins, solidement symétrique, pesé, composé : l'élément diagonal est alors un ornement léger, latéral, anecdotique. Valéry : "la vie a deux ennemis, l'ordre et le désordre".

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