vendredi 17 septembre 2010

Valéry : la perfection expérimentale


Pour Platon, la perfection n'est pas de ce monde : pour l'atteindre, il faut devenir purement spirituel, c'est-à-dire, en un mot, mourir. 
Valéry quant à lui a conçu le projet fou d'être complètement sage (pour parler comme Voltaire), et s'est lancé le pari d'atteindre à la perfection, à l'absolu dès cette vie (disciple en cela de Mallarmé et de Descartes, ce dernier ayant d'ailleurs lui aussi influencé Mallarmé). 
Il y a réussi. Et pourtant, cette réussite est une sorte d'échec. La perfection est accessible, mais elle n'est pas tenable. On peut passer son doigt dans la flamme d'une bougie ; on ne peut pas y demeurer, y établir son logis. La perfection de Monsieur Teste est toute fictive : c'est là un "personnage de fantaisie" où l'auteur rassemble et généralise une pureté de pensée qui n'est accessible, au mieux, que durant quelques quarts d'heure. La pureté intellectuelle véritable, pour le Valéry réel, est de quelques minutes, au petit matin, les jours fastes. 
De même, il n'est pas strictement impossible d'écrire de la poésie écrite en état de pure lucidité ; mais les résultats sont si minces qu'on doit en rester au stade expérimental, au stade du prototype ; on ne peut passer à la fabrication réelle, moins encore à la production industrielle. Faire de la poésie ainsi, c'est comme fabriquer de l'eau à l'aide d'oxygène, d'hydrogène, de courant électrique, et d'un eudiomètre : on y parvient certes, mais à quel prix ! et pour un résultat combien mince ! C'est possible, mais d'un possible si mince qu'il ne peut pas avoir de portée pratique  : Valéry, peut-être un jour de pessimisme comme il en connut bon nombre, écrit à Gide : 
« L'art en pleine lumière est une fiction pure. Le peu qu'on en a vu n'est qu'un résultat de laboratoire - n'y pas songer pour employer ses capitaux » (8 juillet 1906, nouvelle édition p. 656)
Le projet était de se situer à l'extrême pointe de la capacité humaine, là où l'acuité spirituelle est maximale, mais aussi où elle voisine le plus dangereusement avec le rien, où elle tutoie le néant. Mallarmé fournissait déjà un exemple de cette noble exigence, et de ce risque de rester dans ces dangereux parages, qu'il illustrait par les images de la "froidure éternelle", du glacier - Valéry parlera du "last point", de l'extrême Nord, ou du diamant.

Comme dans toute recherche sérieuse, l'exigence de qualité provoque une diminution corrélative de la quantité. La parole la plus pure est la plus rare ; elle est donc proche de l'aphasie. La pensée la plus pure est proche de la dissolution. La pure transparence, pour l'esprit comme pour le diamant, consiste à se rendre comme invisible - invisible à soi-même, "suicide beau". 
  

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Deux bonnes surprises ! Les poètes mis en scène

Stéphane Mallarmé :

http://www.youtube.com/watch?v=Qln_f3haFoE&playnext=1&list=PL7A6E2D1651306453

Paul Valéry :

http://www.youtube.com/watch?v=8MNp9Olctds&playnext=1&list=PL69DBF2F40420F9E7