samedi 26 mars 2011

Immobilité du Bien / pittoresque du Mal

  
L'art médiéval est principalement statique : les saints, le paradis, Jésus, sont immobiles et sereins. Ces modèles (moraux et plastiques) ne gigotent pas : ils ont vaincu leurs passions. 
Le mouvement se trouve dans l'art populaire, dans la musique de danse, au contraire du grégorien qui tend lui aussi à l'immobile malgré le temps, qui tend à donner une image à peine mobile de l'éternité. Mais, dans l'art savant et religieux (c'est à peu près synonyme), le mouvement se trouve surtout dans les représentations du Mal. Les péchés, les vices, sont distordus dans la sculpture et confus dans la peinture. Le désordre moral va avec le désordre plastique ; il  l'autorise, voire l'exige ; les difformités et péchés de l'âme se traduisent en difformités et accident des corps. L'enfer est un immense désordre quand le paradis est une chorale bien ordonnée, rangée en parallèles comme sont parallèles les voix. 


Basilique Saint Sernin de Toulouse 
(Source Wikipédia Licence CC)

C'est peut-être la raison pour laquelle, quand l'art se désolidarisera du Bien, de l'Un, du statique, il prendra ses références dans les peintures du Mal, qui libèrent à la fois des normes morales et esthétiques. Il y a plus de dynamisme et de spectaculaire dans le vice que dans la vertu, de même qu'on ne fait guère de bonne littérature avec de bons sentiments. La peinture du mal (en tableaux ou en romans) offre un champ plus vaste, plus coloré, des aventures plus accidentées, donc pittoresques. Le saint statique est un être arrivé à destination ; donc arrêté ; il a rejoint sa vocation, et n'a donc plus à changer ; il peut rester tel qu'en lui même enfin. La frénésie qui agite les méchants, elle, est pleine d'histoires et de singularités. Il y aura désormais, outre la beauté statique d'un Sarastro, une beauté dynamique de la Reine de la Nuit, qui dominera l'art ultérieur. 

(Source Wikipedia)
  

2 commentaires:

Anonyme a dit…

L'événement est une rupture de l'ordre : si l'ordre est absolu, il n'arrive rien ; il n'y a que dans le désordre qu'il se passe quelque chose !
Le billet est voisin d'un autre sur la nociception, ai-je l'impression : un lien entre les deux m'intéresserait beaucoup si vous y voyez une pertinence.
( Il y aurait par ailleurs certainement pas mal à dire sur une notion d'ordre absolu : cette idée a-t-elle encore un sens ? L'ordre existe car il est voué au désordre. L'ordre tient son existence de ce que le désordre menace...)

Michel PHILIPPON a dit…

Cher Anonyme,

Merci pour ces échos pertinents.

Il y a bien en effet des parallèles avec le billet sur la nociception, mais je n'y ai songé vraiment qu'après. Le point commun est surtout, je crois, que le mal, étant plus "animé", est à la fois plus pittoresque, séduisant, intéressant, et aussi se diffuse plus, contamine plus. L'agitation est plus aisément contagieuse que la sérénité, par exemple (répandre l'hygiène et répandre une maladie...).

"L'ordre absolu" : il faudrait préciser en quel sens "absolu".
Dire que l'ordre ne tient son existence que de l'ordre qui menace... oui, mais cela va assez peu dans le sens d'une conception médiévale pour qui l'ordre ne saurait tenir son être d'un contraste avec une instance opposée avec laquelle il entretiendrait des rapports dialectiques (= l'ennemi est ce qui donne cohésion).
En revanche c'est là exactement la conception dialectique (passionnante) illustrée par Chesterton dans Un nommé Lundi : si l'ordre régnait seul, il n'existerait plus faute de désordre à combattre : l'ordre doit donc éventuellement se susciter des ennemis pour se maintenir en éveil. Chesterton a-t-il des ancêtres en ce sens parmi les théologiens médiévaux ? Je n'en jurerais pas. Mais chez les mystiques, ce serait plus plausible : les mystiques aiment à cultiver les paradoxes, les oxymores, etc., car l'immensité de Dieu n'empêche rien, même ce qui semble incompatible à l'esprit humain limité, mais qu'il peut apercevoir par la foi ou la grâce.