vendredi 24 juillet 2020

Alain : Le caractère


Alain dit qu’on ne peut pas changer un caractère. Il faut prendre le mot en son sens matériel de caractère d’imprimerie, de type - définitif donc. Avec un avare, dit-il, on peut faire un prodigue ; mais le caractère se fait sentir plus bas, dans la manière d’être plus que dans la qualification morale. 
Alain, Propos sur l’éducation XXIII : « Le courage d'un homme ressemble bien plus à sa propre peur qu'au courage du voisin. De même une belle pomme ressemble beaucoup plus à une pomme gâtée qu'à une belle orange. Il n'est point dit qu'un avare ne saura point donner ; rien n'est dit. Mais cette manière de donner ressemblera beaucoup à cette manière de garder ; ce sera toujours la même main. [Le voleur] donnera comme il volait, car c'est la même main.
L’idée est déjà notée, rapidement, par
Balzac, Physiologie du mariage, Essai sur la police § 5 : « Un vieil avare […] avait épousé une jeune et jolie femme ; et il en était tellement épris et jaloux que l’amour triompha de l’usure ; car il quitta le commerce pour pouvoir mieux garder sa femme, ne faisant ainsi que changer d’avarice. »
On trouve une belle illustration de cette constance du caractère dans le Clérambard de Marcel Aymé. Le personnage éponyme est un tyran domestique qui a (ou croit avoir) la révélation de la bonté franciscaine, et qui se retrouve aussi féroce et extrémiste dans son humilité qu’il l’était dans son orgueil. Il impose tout autant ses vues à sa pauvre famille. Il a changé de contenu, ce qui en définitive est peu, car il n’a pas changé, car il ne pouvait pas changer de forme, ce qui est presque tout. Il a changé la couleur de son encre, mais son écriture singulière demeure. 
Apparemment, Frédéric Moreau n’est pas au courant de cette coïncidence des opposés, puisqu’il bée devant la métamorphose de Sénécal - métamorphose à l’identique.