Il y a bien des choses bizarres et inattendues chez Céline. Par exemple ces "aloyaux" de Guignol's Band : "... à crever mouillé tous les jours d'Artois en Quercy... à compter ses aloyaux au coin de toutes les sapes... toutes ses chances plein les barbelés !". Mais on peut se demander si "boyaux" ne conviendrait pas mieux - plus logique, mais moins coloré. C'est peu décidable...
Bach, Cantate BWV 82, "Ich habe genug." Fischer-Dieskau est parfait ; mais, pour incarner le vieillard Siméon, il est bien trop solide, athlétique ; trop de santé. La voix de Bostridge est miraculeusement belle, c'est un sylphe ; mais le vieillard Siméon n'est pas un sylphe, loin de là. Hans Hotter est bien plus fragile, il est le personnage, mais, en rançon, la voix est moins "belle". Il faut choisir selon son goût bien sûr ; et selon le rapport qu'on souhaite entre le texte et l'origine évangélique de l'anecdote ; et le rapport entre musique sacrée et musique tout court. Ou ne pas choisir, et alterner.
Ressemblances étonnantes entre Starobinski et Jaccotet, qui s'appréciaient beaucoup l'un l'autre. Le visage, bien sûr (voir Google images) ; Suisses romands ; longévité ; probité ; voix ; langue saine (sans être "châtiée") ; discrétion idéologique, politique ; distance médiatique. La parole surtout fait du bien : simple, souple, naturelle, claire, posée. Tout à l'inverse de l'habituel bredouillis cocaïné, du laborieux FLE (français langue étrangère) qui ne cesse de buter sur chaque formule.
Il y a un niveau de lyrisme, très excessif, qui finit par me plaire étrangement "quelque part", malgré mes préventions contre le déballement sentimental. Deux de ces cas exceptionnels : La Nuit transfigurée du Schönberg romantique archi-tardif ; Le Poème de Chausson. À l'inverse, je suis horripilé par le solo de violon de Shéhérazade (de Rimski bien sûr), si bien joué soit-il.
Michael Edwards note, dans la poésie anglaise, le souci du détail, parfois inutile, mais très concret ; il évoque un texte médiéval où un guerrier est décrit se lançant avec force, comme un loup qui bondit, avec des morceaux de neige collés à son pelage. Même notation du détail chez Woolf (encore un loup...) ; entre mille exemples : "And then there was a brewer's cart, and the grey horses had upright bristles of straw in their tails." "Elle vit passer la carriole d’un brasseur ; les chevaux gris avaient des brins de paille hérissés dans la queue"
Esprit préparé à entendre… : écoutant quelque chose sur les peintures noires de Goya, j'entends que le père du peintre était "maître d’horreur"… J’ai entendu mille fois le mot ‘doreur’, entre autres à propos de la rue où habitait Pessoa, mais alors, je n'avais jamais songé à ce sens. Avec Goya, le contexte avait préparé mon 'implexe', m'avait mis sur la voie.
Formule de Proust : "j'aurais voulu pouvoir aller finir la journée... " Pour aimer ces cinq verbes successifs, il faut être un inconditionnel ; il faut refuser de voir les défauts de Proust - qui sont nombreux et graves, bien plus graves que cet entassement malencontreux.
On passe de la calologie à l’esthétique qd il n’y a plus de consensus. Si tout le monde s’accorde, on peut penser que la beauté est dans la chose. S’il y a désaccord, il faut dire qu’elle est dans le regard. De même pour l'amour : on croit que la bien-aimée est la plus belle et la plus aimable. Mais s‘il en était ainsi, tout le monde en serait amoureux. Il est donc clair que l’amour est dans le regard. La diversité des goûts "désontologise" la qualité goûtée.
Feydeau, fils d'une cocotte de haut vol ; la paternité du mari est hautement douteuse. On a parlé de Morny (il y a une ressemblance), même de Napoléon III. Quand on songe à cela, il y a des répliques qui prennent de la résonance : "Et hop, c'est pas mon père !" (répété dans La Dame de chez Maxim) ; ou bien, dans Feu la Mère de Madame : "où ça son père ? qui ça son père ?" (une Dame peu honnête dans premier exemple ; une Madame bien bourgeoise dans le second).