Dans le classicisme, il y a une forme (générale) qui précède et commande le contenu qui réalise cette forme. La loi est donc de ne pas surprendre, de ne pas prendre à contre-pied, de ne pas trahir les attentes. Quand Haydn, dans la symphonie dite La Surprise (Londres, 1792), fait intervenir, dans un contexte très doux et aisé, un fortissimo tonitruant (Paukenschlag, "coup de timbales", qui est le sous-titre en allemand), il enfreint délibérément cette règle. Dans son oratorio Die Schöpfung, La Création, il fait de même sur le mot "Licht", mais de façon plus sophistiquée et motivée. Il s'agit de Dieu créant la lumière : il y a motif à être nouveau dans la forme. On dit (?) que lors de la création de la Création, il s'était arrangé pour que la partition restât secrète sur ce point, afin que l'effet de saisissement fût maximal - et en effet il le fut : une terreur sacrée dans l'Autriche de la fin du XVIII° siècle.
Mais la surprise de la symphonie qui porte son nom ne surprend plus guère — ni l'éclat de Licht. La surprise est un procédé dont les effets s'érodent. Valéry dit à propos de Bossuet le classique, en le comparant aux modernes : "il spécule sur l'attente qu'il crée, alors que nous spéculons sur la surprise." Haydn, premier moderne ? en cela, peut-être. "Moderne" ou "romantique" ? ici comme souvent, c'est équivalent.
Dans son livre sur le mariage d'amour, Pascal Bruckner dit que le mariage fondé sur la passion est comme un plat très chaud au début, qui ne peut que devenir tiède avec le temps. Alors que d'autres mariages sont comme un brouet mis à tout petit feu ; au début, ce n'est pas fameux ; mais avec le temps, cela va en s'arrangeant, et peut finir par être très bon. Valéry, toujours lui, disait qu'on ne peut demeurer dans la flamme d'une chandelle, seulement y passer un instant.
Choc et cumulation s'opposent comme entropie et néguentropie, comme passion et action, comme extase et construction, comme instant et durée. Ne verrait-on pas chez Haydn, de façon très paradoxale, les premières lézardes dans les valeurs de durée ? Très vite, avec Beethoven, les lézardes vont se faire plus nombreuses et plus sérieuses.
Symphonie La Surprise, Solti, de 8'25 à 8'59
https://www.youtube.com/watch?v=gbf1LVE4UKM
Schöpfung dir. Spering : de 6'32 à 9'18
(avec une illustration pertinente)
https://www.youtube.com/watch?v=4u5Yigq9zQs