Vers la fin du XIX° siècle, on passe de l'éloge du réel à l'éloge du possible. Un bon tiens vaut moins désormais que deux tu l'auras. Les oiseaux dans le buisson valent mieux désormais que l'oiseau dans la main, etc. Valéry, Musil, Montherlant, Gide, etc. La multiplicité des possibles co-inexistants a une plus riche musicalité qu'un seul existant, car la sensation subjective, ici aussi, prend le pas sur la présence réelle (cf. le passage de la calologie à l'esthétique, etc.). Il y a un rêve moderne comme il y eut un rêve romantique, et le second paraît étroit au premier. Symbole de ce changement : Lamartine, "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé", corrigé par Giraudoux : "Un seul être vous manque et tout est repeuplé."
Révolte et révolution. Sous des apparences voisines, c'est le contraire. La révolte est un effet, la révolution est (ou se veut) une cause. La révolte relève de la causalité mécanique : on ne supporte plus, le couvercle saute, mais on n'a pas de projet ; on est poussé, vis a tergo). La révolution relève de la causalité finale ; l'ordre actuel est insatisfaisant, et on a un plan de transformation (vis a fronte).
Le dos, c’est ce qui est vu, et ne voit pas (Merleau-Ponty, J. Hyppolite). C'est très net chez Degas : on voit, souvent de dos, des femmes qui ne nous voient pas ; il y a une inégalité, une distance foncières entre regardeur et regardée.
L’aristocrate et le serf étaient tous deux liés à la terre ; le serf appartenait à la terre, et la terre appartenait à l’aristocrate. Mais, par la possession, l'aristocrate était lié à la terre. Cela créait quand même un parallélisme, et une sorte de communauté, un enracinement commun, une solidarité inéquitable. L'aristocrate portait le nom de la terre : elle le baptisait.
La création (cartésienne) des vérités marque le primat de sa puissance, que l'on a pu dire ainsi déraisonnable, folle. De même chez Louis XIV, à propos des futiles distinctions qui enflammaient les courtisans : "C'est un des plus visibles effets de notre puissance que de donner quand il nous plaît un prix infini à ce qui de soi-même n'est rien."
Baudelaire, à la fin, aphasique, ne disposant plus que d'un seul mot, diversement modulé dit-on : "Crénom !" Ressemblance frappante avec l'état inchoatif de la conscience tel que décrit par Rousseau à propos du bébé : "sʼil a faim ou pleure ; sʼil a trop froid ou trop chaud, il pleure ; sʼil a besoin de mouvement & quʼon le tienne en repos, il pleure ; sʼil veut dormir & quʼon lʼagite, il pleure." Et aussi (ce n'est pas un hasard, le second ayant le livre du premier sur sa table de travail), Hegel, à propos de la conscience la plus naïve, qui ne peut que désigner telle ou telle chose, et disant invariablement "il y a ".
La liberté qui s'annule ; par une irrésistible pesanteur, on revient à son aliénation. Bouvard et Pécuchet, copistes, finissent par ne plus rien faire que copier. Monsieur Bougrelon (dans la nouvelle de Huysmans) ne supporte pas la retraite et reconstitue son bureau de gratte-papier à domicile. Les piteux héros de Courteline, (Le Train de 8h47) soldats presque toujours contraints de marcher, se voient octroyer la possibilité de voyager en train (un grand luxe !). Mais par bêtise, par formatage mental, ils gâchent cette chance et finissent par... marcher. Comme le chien revient à son vomissement.
Si Platon et Aristote représentent deux doctrines, c'est parce qu'ils partent de deux attitudes, deux postures premières qui perdureront, mettant de la confusion dans les problèmes philosophiques. Platon part d’un point de vue moral ; il pense à ce que les êtres et les choses devraient être ; il éprouve donc une constante amertume qu’ils en soient aussi loin. Au fond, il fait de l’axiologie en permanence, et cela colore sa pensée en tous domaines. Tandis qu’Aristote commence par constater, voir ce que les êtres sont ; il commence par apprendre le réel ; ensuite, éventuellement, on pourra le juger. Paradoxe : sa pensée est plus pure que celle de Platon, précisément en ce qu’il ne vise pas dès le départ à la pureté, en ce qu'il ne mêle pas observation et jugement. Avec Aristote, le fait de ne pas prendre en compte la pureté axiologique permet la pureté méthodologique. Avec Platon, l’inverse.