vendredi 8 août 2025

Ras-Poutine et Re-Pnine

En lisant un ouvrage sur Nabokov (la bio de Boyd probablement), j'ai vu, à propos de Pnine, que ce patronyme est spécial. Cf. mon billet de La Désobligeante (3° §) :

https://lecalmeblog.blogspot.com/2019/10/nabokov-pnine-diminutif.html

Les patronymes monosyllabiques sont très rares en russe, et, d'ailleurs, celui de Pnine est probablement le résultat d'une ablation, d'une sorte d'aphérèse : souvent, le barine qui engrossait une domestique donnait à l'enfant son nom, mais amputé de la première syllabe ; ici, p. ex. Repnine (comme la célèbre la famille aristocratique Repnine). Je ne sais pas grand chose sur le seul Pnine autre que celui de Nabokov, le peintre Pyotr Pnin (1803-1837), sinon qu'il a, très nabokoviennement, peint des joueurs d'échecs : https://www.wikidata.org/wiki/Q15080843


Quand Poutine est devenu le nouveau tsar, j'ai songé à l'ironie de son nom comparé à celui du moine qui fut associé à la chute de l'empire. Le dictateur serait-il parent de Raspoutine ? Ce dernier patronyme n'est pas fréquent, mais ce n'est pas une rareté, et il est réparti dans de nombreuses régions. Le patronyme Poutine en revanche est rare, voire très rare (Chat GPT dixit). Il serait donc plausible que les bâtards des rares Raspoutine soient très rares. 

Lecomte, dans Les secrets du Kremlin, mentionne l'idée, mais la révoque d'une façon peu convaincante, disant que ceux qui ont fait ce lien patronymique se sont appuyés sur le fait que Poutine serait né dans la même petite ville que Raspoutine le Moine, ce qui est faux. Mais cela ne prouve pas l'impossibilité, puisqu'il y a des Raspoutine un peu partout, même s'ils sont peu nombreux. Il est donc possible (pas du tout certain) que Poutine soit le descendant sinistro manu d'un homonyme du Moine. 


Notes : 

"Poutine" signifie quelque chose comme "du chemin" ; et "Raspoutine", "du mauvais chemin", ou "dévoyé, sorti du chemin". Il doit y avoir un rapport avec la fameuse raspoutitsa...


Il y a un autre Raspoutine connu (Valentin), écrivain, à l'inspiration très sibérienne. Son homonyme réduit le décore dans cette photo fournie par Wikipédia : 


Pourtant, jadis (1990), j'avais lu et apprécié L'Incendie.










dimanche 16 mars 2025

Morand et l'exigence

Morand a dit clairement que nombre de ses publications étaient intéressées, qu'il aimait trop les belles voitures et les palaces, que Grasset lui donnait de trop gros chèques, et qu'il aurait mieux fait d'écrire des choses plus sérieuses, genre "Milady". Or ce texte se lit aisément de façon allégorique. Gardefort représente l'exigence extrême, l'art conçu comme un absolu ; alors que son acheteur est vulgaire, superficiel, et riche, et il gâche la sublime jument. Mais ce Belge (au nom probablement juif de Frumbach) c'est Morand tel qu'il a été, superficiel, vain. Gardefort est son idéal (il ressemble au Sainte-Colombe de Quignard), auquel il a failli, qu'il n'a cessé de trahir. Son Monsieur Teste. Sa mauvaise conscience. Morand tel qu'il aurait dû être. La nouvelle serait sa confession, son autocritique littéraire : Morand cavalier aurait été plus exigeant que Morand écrivain (écrivain vain). Il bat sa coulpe ; il confesse publiquement sa faute. 

Un cas très particulier donc : un autoportrait où l'auteur se peint en personnage secondaire, plat, ignorant des vraies valeurs, jouxtant l'exemple sublime, l'idéal du moi qu'il a presque toujours négligé pour des raisons basses. Morand, passablement antisémite, se peint en juif mondain. Le riche Belge est "l'homme superficiel", bien plus finement emblématique que L'Homme pressé, qui joue sur des ressorts assez simplistes. 

(Tout ceci me semble évident, et a dû être dit et redit, imprimé etc. Mais je sais que souvent, les choses les plus voyantes, comme la Lettre Volée, ne sont pas vues...) 


Monsieur Zéro, qui fait volume avec Milady : 

c'est bien fait, pas inintéressant mais bien moins bon que Milady. Noter que dans les deux cas, un homme est le personnage central, qui ne cesse de bouger dans Zéro, et qui au contraire tend à une sorte d'immobilité équestre dans Milady. Immobilité sous le mouvement apparent. Celui qui dispose du moyen de transport s'en sert pour ne pas bouger, pour ne pas voyager. 


samedi 1 mars 2025

Nabokov, quelques notes

Le mot anglais "nap" signifie "petite sieste". Il n'est pas à l'origine de "kidnapping" , qui vient (je cite etymonline) de "nap" = "to catch (someone) by a sudden grasp, seize suddenly," 1680s, probably a variant of dialectal nap "to seize, catch, lay hold of (1670s, now surviving only in kidnap), which possibly is from Scandinavian (compare Norwegian nappe, Swedish nappa "to catch, snatch;" Danish napes "to pinch, pull"); reinforced by Middle English napand"grasping, greedy." … Racine hautement nab-okovienne. Dès le début de Lolita, HH se classe parmi les "nympholeptes" : "Toutes les enfants entre ces deux âges sont-elles des nymphettes ? Non, assurément pas. Le seraient-elles que nous aurions depuis beau temps perdu la raison, nous qui avons vu la lumière, nous les errants solitaires, les nympholeptes." Le kid-napper dit qu'il est en fait volé par l'enfant, inspiré, dépossédé de sa liberté par les nymphe(tte)s. Cf. Platon, le poète inspiré dans Ion. Ou La Pythie de Valéry, évincée d'elle-même par le Dieu. Le possédé, donc dépossédé, volé, devient voleur. Béni, maudit. 


Amis (Martin) : The War Against Cliche, sur Lolita : 

"It rushes up on the reader like a recreational drug more powerful than any yet discovered or devised."


Un ancêtre de Kinbote ? On lit dans l'article Wikipedia consacré à Draud  (Georg)  : "On doit encore à Draud : […] une édition de Solin, Francfort, 1603, 3 vol. in-4° : quelques-unes des additions de l’éditeur sont curieuses, la plupart sont triviales ou étrangères au sujet ; aussi cette volumineuse édition est peu recherchée. Draud y a changé sans fondement la distribution des chapitres."


Sergueï Petrovitch Botkine (1832-1889), professeur à l’Académie de médecine militaire. Il a donné son nom à la maladie de Botkine, ou ictère cholestatique.


Récurrence chez N. de la fermeture Eclair ; plus qu'un motif, c'est un thème, ou en tout cas une puissante métaphore de la réversibilité du temps par le biais de la réversibilité du parcours spatial. Dans Pnine, bien sûr (sublime passage !), mais aussi dans Regarde les Arlequins ! et encore dans Laura. Il faudrait pieusement éplucher tous les textes à la recherche de toutes les occurrences. L'accident de zip évoqué dans Pnine est-il le décalque d'une aventure personnelle ? Non pas d'un ridicule besoin urgent, mais d'une catastrophe fondatrice : on quitte Petersburg, on y revient, n fois. Et un jour on quitte, mais on ne revient pas ; c'est coincé ! La voie de chemin de fer ressemble bien à une fermeture Eclair. 


Lolita dit à HH que pour elle, le sexe est un amusement d'adolescents, mais qu'entre adultes, c'est dégoûtant. Même idée chez  Camilleri, La Pension Eva : "— Mais tu le sais que nous, dans le grenier, on fait des choses cochonnes et que c’est péché mortel ?  / — Les choses cochonnes, c’est seulement l’homme et la femme quand ils sont grands qui peuvent les faire."


Pnine, scène de la baignade dans la fontaine ; thème de la "foi tactile" : allusion à Saint Thomas, qui voulut toucher les plaies du Christ pour croire. Cf. Lolita av dern. chap : "Thomas n'était pas si bête que ça. C'est bizarre comme le sens tactile, bien qu'infiniment moins précieux pour les humains que la vue, peut devenir dans des moments critiques notre principal, sinon notre seul, levier face à la réalité." Il faudrait pieusement éplucher tous les textes à la recherche de toutes les occurrences de ce thème tactile chez N. (il y a chez lui tellement de visuel qu'on en oublierait les autres sens...).


Pale fire : image parfaite : "along its edge walked a sick bat like a cripple with a broken umbrella."


Pour Nabokov, l’imitation est mieux que le réel, le reflet est mieux que la chose ; on ne peut pas dire de lui ”in a glass darkly” (Kinbote citant Hurley), mais plutôt ”in a glass brightly.”


Pale Fire : à Onhava, étonnante anticipation de l'esthétique lexicale trumpienne ?! ”Taxation had become a thing of beauty.”


Rasage : il faudrait pieusement éplucher tous les textes à la recherche de toutes les occurrences de ce thème important (effacer les effets du temps, revenir en arrière de 24h ; non sans peine parfois). Un passage de Biély (Petersburg) passerait aisément pour du N : « A la lueur d’un bout de chandelle, il se mit à raser son cou velu (il avait une peau tendre, qui se couvrit de petits boutons sous le feu du rasoir). Il se rasa le menton et le cou. Mais le rasoir coupa par inadvertance une moustache : il lui fallait maintenant se raser jusqu’au bout ».


Vulnérabilité humaine : le crâne-scaphandre de Pnine ; et dans The Eye, sous la forme d'un effet de sonorité : "thin skin". Minceur de la paroi entre moi et non-moi. 


Lurie Liaisons étrangères chap. V : 

cité Lectionnaire 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2022/01/lurie-enfance.html

"Vinnie [qui fait des recherches universitaires sur les chansons enfantines] voudrait être un enfant, et non en avoir ; elle n’est pas attirée par la fonction parentale, mais par une prolongation ou une récupération de ce qui est, à ses yeux, la meilleure période de la vie. 

L’indifférence aux enfants réels est assez répandue chez les spécialistes du domaine où travaille Vinnie, et se rencontre aussi parfois chez les auteurs de littérature pour la jeunesse. Comme elle l’a souvent signalé dans ses conférences, beaucoup des grands écrivains classiques ont eu une enfance idyllique qui s’est terminée beaucoup trop tôt, et souvent au point de provoquer un traumatisme. Carroll, Macdonald, Kipling, Burnett, Nesbit, Grahame, Tolkien… ; la liste ne s’arrête pas là. Le résultat de ce genre de passé semble être un désir passionné, non pas d’enfant, mais de retrouver sa propre enfance perdue."


Loujine, à l'école, était terne ; on ne se souvenait presque pas de lui (p. 366) ; cf. Charles Bovary. 


Du Nabokov chez Proust (À l'Ombre des jeunes filles en fleurs) : "leurs vignettes s'encastraient multicolores, comme dans la noire Église les vitraux aux mouvantes pierreries, comme dans le crépuscule de ma chambre les projections de la lanterne magique,"


"Ne pas parler aux étrangers" : cela vaut pour les petites filles toujours en danger, mais aussi pour les Moscovites de Boulgakov, au début du Maître et Marguerite. 


Pnine cite Pouchkine : " m’enverra la mort ?" cela commence par Gdié, le ‘cri’ (le seul mot russe) de détresse de Mademoiselle ("où êtes-vous ?" + "où suis-je ?"). Le cri de l'exilé. 


 Deux thèmes nabokoviens : ”Icy” et ”I see.”


Prokofiev, ici nabokovien, s'inspire de Balmont pour ses "Visions fugitives" : « Dans chaque vision fugitive je vois des mondes / Pleins de jeux changeants et irisés. » (soit dit en passant, très belles partitions de P, à tel point qu'on ne dirait pas que c'est de lui). Mêmes monde, époque, et, en partie, esthétique. 


Glory a été traduit par L'Exploit. Cela convient. Mais je ne vois pas pourquoi on n'a pas choisi La Prouesse, qui me semblerait, par rapport au contenu du roman, à la fois plus juste et plus précis. (... au lieu de La Méprise, L'Impair ?...).


Chez Sterne, Tristram s'adresse souvent à son public, en supposant des lecteurs à géométrie variable (masculin, féminin, singulier, pluriel). Humbert procède de façon assez similaire, mais en se limitant aux personnes du jury supposé auquel il présente son explication (jusqu'au savoureux "Frigid gentlewomen of the jury !").