On first looking into Chapman’s Homer
Much have I travell’d in the realms of gold,
And many goodly states and kingdoms seen ;
Round many western islands have I been
Which bards in fealty to Apollo hold.
Oft of one wide expanse had I been told
That deep-brow’d Homer ruled as his demesne ;
Yet did I never breathe its pure serene
Till I heard Chapman speak out loud and bold :
Then felt I like some watcher of the skies
When a new planet swims into his ken ;
Or like stout Cortez when with eagle eyes
He star’d at the Pacific—and all his men
Look’d at each other with a wild surmise—
Silent, upon a peak in Darien.
(une traduction, non signée, prise sur le web... faute de mieux)
J'ai beaucoup voyagé à travers les royaumes dorés,
J'ai vu bien des états et des royaumes magnifiques;
J'ai vogué autour de maintes îles occidentales
Où les bardes restent fidèles au culte d'apollon.
Souvent on m'avait parlé de la vaste étendue
Qu'Homère au front sourcilleux possède pour domaine;
Mais jamais encore je n'avais respiré son souffle pur
Avant d'entendre la voix haute et forte de Chapman.
Alors, je me sentis comme un veilleur des cieux
Lorsqu'une nouvelle planète surgit à portée de sa vue,
Ou comme le vaillant Cortès, quand de son regard d'aigle
Il fixait le pacifique - alors que tous ses hommes
Se regardaient avec un étrange soupçon -
Sans dire un mot, du haut d'un pic du Darien.
1816. Le jeune Keats (si on ose ce pléonasme), plein de fougue et d'espoir, découvre dans l'émerveillement une nouvelle traduction d'Homère. Le nouveau nous rend le passé présent. Un monde s'ouvre, métaphorisé par le mouvement vers l'Ouest (Hyperion...), cet extrême Ouest qui nous ramène aux sources orientales de notre civilisation. Métaphorisé aussi par la quête de l'or (soleil couchant, Occident obligent : "l'or du soir qui tombe..."). Mais le Conquistador, au-delà de ce Nouveau Monde, qui n'est jamais qu'un continent riche d'un or matériel (Eldorado), se retrouve face l'illimité, face à l'infini du Pacifique. Non pas cet élément liquide, informe, dont Keats fera bientôt (comme Leopardi) le lieu de sa dissolution finale (disparition dans l'eau de celui dont le nom fut écrit sur l'eau), mais un inépuisable réservoir de beautés et de joies pour toujours. Le poète s'est trompé sur le nom du conquérant et sur la situation de Darien, peu importe.
Voici un Romantique heureux, exultant, exalté par une soudaine extension de l'univers, de l'Etre. La première métaphore ("Then") de cette apparition est d'ordre astronomique : la découverte d'une nouvelle planète :
Then felt I like some watcher of the skies
When a new planet swims into his ken
Une découverte récente lui a peut-être suggéré la comparaison. Mias il s'agit surtout d'une révélation : tout un immense pan de la beauté se révèle soudain. La configuration de l'univers mental en est subitement enrichie. Cette expérience de l'extension, du déploiement de la sensibilité esthétique correspond exactement à celle de l'amour : par la vertu d'un autre être, l'Etre se met à résonner, s'amplifie ; on vit désormais "en stéréo". La vie est plus vaste. Cet élément nouveau n'est pas seulement un élément supplémentaire. Il change tout, reconfigure tout. L'ordre stellaire, ou planétaire, qui semblait l'immutabilité même, qui semblait définitif, est bouleversé magiquement, acquiert de nouvelles dimensions. Comme un jeu d'échecs où apparaîtrait une nouvelle pièce, ayant de nouvelles propriétés, transformant et étendant toutes les possibilités du jeu.
Cette expérience du ravissement, de la révélation éblouie, de l'augmentation de mon être et de l'Etre en général est le versant positif, optimiste, souvent minoré, du Romantisme : l'éblouissement. L'inverse, le symétrique de ce qui constitue le principal cliché romantique : la mélancolie, la perte irréparable. Le Desdichado nervalien le dit en une formule très (trop ?) connue :
Cette expérience du ravissement, de la révélation éblouie, de l'augmentation de mon être et de l'Etre en général est le versant positif, optimiste, souvent minoré, du Romantisme : l'éblouissement. L'inverse, le symétrique de ce qui constitue le principal cliché romantique : la mélancolie, la perte irréparable. Le Desdichado nervalien le dit en une formule très (trop ?) connue :
Ma seule étoile est morte et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.L'image ici aussi est très cosmique, on ne peut plus cosmique ; mais il s'agit de la perte de l'étoile (désir / de-sidera, manque d'étoile). Mon luth est constellé certes, mais seule m'importe l'étoile que j'ai perdue, et qui assombrit tout, qui mélancolise tout, noircit le soleil même.
Porte le soleil noir de la Mélancolie.L'image ici aussi est très cosmique, on ne peut plus cosmique ; mais il s'agit de la perte de l'étoile (désir / de-sidera, manque d'étoile). Mon luth est constellé certes, mais seule m'importe l'étoile que j'ai perdue, et qui assombrit tout, qui mélancolise tout, noircit le soleil même.
Au sens philosophique, l'admiration est l'expérience de ce que le réel contient autre chose que ce qu'on en savait ; plus qu'on n'osait en espérer - ou moins, dans l'expérience de cette "admiration négative" qu'est la déception.
Bientôt, Keats sera dévasté par la maladie, et par sa propre sensibilité, trop vulnérable. Le continent amoureux qu'il va connaître sera pour lui un facteur de douloureuse destruction, et les océans évoqués à la fin de ses sonnets seront des lieux de disparition du moi, d'évanouissement de la personnalité dans l'indéterminé. Mais on aura eu le témoignage de ce premier Romantisme solaire, ardent, juvénile, tourné vers un avenir où le plus lointain passé est rénouvelé et glorifié, un Occident lumineux, doré comme un tableau de Claude Lorrain. L'essor magnifique d'un espoir d'autant plus bouleversant qu'il sera bref.
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