dimanche 13 juin 2010

Wordsworth : Lucy dans les cieux (traduction M.P.)


Ce bref poème assez énigmatique (ainsi qu'un autre, assez voisin, du même auteur) a suscité quantité de commentaires ; il est même en quelque façon la "pierre de touche" préférée des diverses écoles interprétatives anglo-saxonnes qui veulent donner exemple de leur pertinence. 
Je me garderai bien d'entrer en concurrence herméneutique. Il suffit de voir que c'est d'abord, au passé, un poème de mélancolie (mise au tombeau du moi) puis un poème de deuil, au présent (réinsertion de l'objet perdu dans un ensemble). 
La brièveté de l'anglais, la fréquence des mots monosyllabiques,  l'importance du rythme iambique rendent la traduction française particulièrement ardue. Il faut supprimer tout ce qui n'est pas absolument nécessaire, quitte à voisiner avec l'ellipse ; et se contenter de rimes "minces". La fin du vers 3 est un pis aller ; mais dans un mode de traduction aussi contraint, on ne peut guère les éviter. Peut-être reviendrai-je un jour y apporter un repentir.

Pour le premier vers, je copie ici la fin du billet précédent : 
... fameux poème de Wordsworth sur la "mort" de sa sœur Lucy (poème qui a connu une étrange fortune psychédélique) : 
A slumber did my spirit seal
Ici, le rythme est tout iambique  : aT aT aT aT (l'anglais y tend puissamment), donc proche d'une marche funèbre, ou du choc rythmique du marteau qui cloue un cercueil, celui de Lucy, mais aussi celui de l'âme du poète. Mais c'est l'hébétude ("slumber") qui est sujet, très habilement renforcée par l'article indéfini ("a") et par le "did" explétif, de pure insistance, jusqu'au choc final du sceau ("seal"), sans préjudice d'une association, par le S initial commun à l'esprit et ce qui l'annule : Spirit / Slumber / Seal - le S, en outre, étant en position de tonique.




A slumber did my spirit seal ;
I had no human fears -
She seemed a thing that could not feel
The touch of earthly years.
No motion has she now, no force ;
She neither hears nor sees ;
Rolled round in earth's diurnal course
With rocks, and stones, and trees.



Soudain je chus dans la stupeur,
De peur humaine exempt -
Elle était chose sans chaleur
Hors des terrestres ans.

Inerte, en paix elle est figée,
N'entend, ne sent, ne voit ;
Roulée parmi jours et journées,
Cailloux, rochers et bois.

Tombes de la famille Wordsworth 
(photo Gary Rogers, Wikipedia, sous licence CC)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Wordsworth_family_plot.jpg
    

Aucun commentaire: