dimanche 11 juillet 2010

Finir en douceur, finir en fanfare 2 (Vallès, Mozart, Monteverdi)


Il y a quelques temps, j'ai critiqué Rimbaud et Valéry pour avoir terminé en fanfare ce qu'ils devaient terminer en douceur. J'aurais dû (on ne pense pas à tout) donner un autre exemple.

L'admirable, chez Vallès, c'est la spontanéité de la révolte, de la colère, en l'absence de toute rhétorique. Son refus du lycée, des classiques, se traduit de façon conséquente par une écriture de l'impulsion, exempte de tropes préformatées, de métaphores attendues. En cela, cette écriture fait du bien, elle nettoie le cerveau langagier de tous les procédés classiques, mais usés, voire fatigués. Un Céline, un Bukovski, nous donnent cette même sensation de "brut de décoffrage", (même si c'est très travaillé chez le premier). 
Vallès, c'est la hargne, le sarcasme à l'égard de la société, l'ironie à l'égard de soi-même, sans phrases. Ceci pendant toute sa trilogie autobiographique, qui constitue un grand livre révolutionnaire qui n'est gâté par nulle théorisation, par nul effet de manche. Un ouvrage incontestable donc, car on ne conteste pas une sensation de l'existence : on en goûte au contraire les effets littéraires (ou anti-littéraires). 



Toute la trilogie, ou presque... Comme Rimbaud à la fin de son Bateau ivre, comme Valéry à la fin de sa Jeune Parque, Vallès trébuche sur sa dernière phrase, et se trahit à l'ultime seconde, entache son œuvre de ce qui est, pour son projet, une énorme "impureté" : une image lourdement imagée, pesamment didactique, qui serait dans le ton d'un roman de Zola (la dernière partie de La Débâcle p. ex.) ou d'un poème polémique de Hugo, mais qui sonne horriblement faux chez Vingtras insurgé contre les Versaillais, contre les thèses philosophiques, et contre les figures de style du "bien écrire" : 
« Je viens de passer un ruisseau qui est la frontière.
Ils ne m’auront pas ! Et je pourrai être avec le peuple encore, si le peuple est rejeté dans la rue et acculé dans la bataille.
Je regarde le ciel du côté où je sens Paris.
Il est d’un bleu cru, avec des nuées rouges. On dirait une grande blouse inondée de sang. »
Voilà treize dernières syllabes qui font un grand dégât rétroactif sur trois volumes de sincérité stylistique. 

[s'il est permis de comparer les grandes choses aux petites : on a là une sorte de "coup de boule" littéraire...]


A contrario :

Mozart : son Concerto "turc" pour violon se termine par le mouvement qui lui vaut son surnom, bien scandé de marcatos orientalisants, sur un thème qui se réduit à des arpèges d'accord parfait mineur. Simple et robuste. Un peu chargé, même si la légèreté mozartienne n'en est pas absente. Légèreté qui reprend tous ses droits à la fin, à ce qui devrait être péroraison, et qui est précisément le contraire d'une péroraison brillante, kitsch : on termine très doux, contre les habitudes du concerto, mais en un très heureux rééquilibrage sonore par rapport à ce qui précède. Tout à coup, le son se dissout en vapeur, s'envole comme un efrit. 

Et Monteverdi : Combattimento di Tancredi e Clorinda. L'héroïne meurt ; le ciel s'ouvre. Pas besoin de traduction : on l'entend par l'effacement même de la musique. Les dernières notes de Clorinde sont déjà le silence :

(la musique avec la partition à l'écran... : un rêve que je croyais ne jamais voir se réaliser)

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