J'ai beaucoup d'admiration pour Gracq critique (avec quelques réserves, mais qui ne sont pas d'ordre littéraire, sur Alain p. ex.). Pour le romancier, l'admiration n'empêche pas que sa phrase ne "sonne" pas naturellement à mon oreille. J'ai besoin d'aide pour entendre et faire vivre une prose aussi riche, aussi fine. Donc j'essaie d'apprendre à lire en écoutant.
Or Gracq lisant lui-même ses textes m'a grandement déçu : voix sèche, mal adaptée me semble-t-il. Il n'est pas rare qu'un auteur peine à faire passer avec sa voix extérieure les merveilles de sa voix intérieure ; ce n'est pas son métier. Le merveilleux Jean Carrière bafouillant, massacrant ses merveilles en est un exemple pathétique et plein d'enseignements sur ce qu'est un auteur. De même, la diction de Valéry laisse perplexe.
Quand Gracq est mort, je suis tombé sur France-Culture sur un diseur (extraits du Rivage des Syrtes) au timbre admirable, un instrument magnifique, un larynx-Stradivarius ; mais... complètement gâché par ce que j'appellerai par litote une conscience un peu excessive de ses dons... D'où une lecture à la fois magnifique et intolérable, narcissique, une lecture de petit marquis ravi de lui-même, qui s'écoute dire comme d'autres s'écoutent parler, et ne cesse de s'admirer d'être si beau en ce miroir. Pas le genre qui s'efface derrière le texte, mais qui se sert du texte pour se montrer. Pas du tout le genre Michel Bouquet. Sentence à la désannonce : Mesguich.
Un CD : "La Route" (extr. de La Presqu'Île). Une musique de fond pas trop utile, mais pas trop envahissante ; des percussions non-figuratives, assez discrètes ; cela pouvait passer, bien que l'idée d'ajouter quoi que ce soit de sonore à du texte littéraire me semble incongrue. Seuls me paraissent supportables les sons qui s'ajoutent d'eux-mêmes, comme les martinets certains soirs d'été. La voix : Catherine Carpentier, inconnue. Pas du tout une mauvaise voix, tout au contraire ; mais un parti pris de faire neutre, détimbré, déshumanisé, plat, ferblantisé, bressonisé. Exemple de l’artifice criant qui consiste à revendiquer hautement le refus de tout artifice, de toute expressivité. Le résultat : un texte atone, pénible à suivre, où il me faut sans cesse retraduire mentalement ce que j'entends, en ajoutant les intonations qui me sembleraient normales, ou, simplement, opportunes ou possibles. Inutile alors de recourir à une diseuse (nous éviterons le "bon mot" genre « diseuse de mauvaise aventure ») ; mieux vaut revenir au papier avec ses propres forces et faiblesses.
Je suis donc toujours en attente d'une lecture de Gracq qui me satisfasse.