samedi 20 mars 2021

Notules (8)


     Cadre : l'encadrement du tableau, mais aussi le fond du tableau, sur lequel le portrait se détache, où il est inséré, par lequel il est situé, explicité, présenté "dans son cadre", pour que la forme humaine et le fond s'entr'expriment. 

   Exemple : ProustÀ l'Ombre des jeunes filles en fleurs : « Il venait de la plage, et la mer qui remplissait jusqu'à mi-hauteur le vitrage du hall lui faisait un fond sur lequel il se détachait en pied, comme dans certains portraits où des peintres prétendent sans tricher en rien sur l'observation la plus exacte de la vie actuelle, mais en choisissant pour leur modèle un cadre approprié, pelouse de polo, de golf, champ de courses, pont de yacht, donner un équivalent moderne de ces toiles où les primitifs faisaient apparaître la figure humaine au premier plan d'un paysage. »

Balzac, bien sûr, Goriot : "toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne."

Il en va de même pour le vêtement, qui fait partie du portrait, l'enrichit. En ce sens, Barthes n'a pas tort d'en faire un élément constitutifs de la personne. 

Quant au cadre comme limitation, contour, j'avais publié naguère un beau texte de Giono

https://lelectionnaire.blogspot.com/2021/01/giono-cadre.html

qui se trouve étonnamment corroboré par une "Brève de comptoir" : « Tout ce qui est à travers une fenêtre fait un beau tableau. » Je songe à Rilke, la fenêtre qui limite "le grand trop du dehors". 

Et encore à Proust : 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2021/03/proust-fenetres.html


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Faulkner, formule fameuse, dans Requïem pour une nonne : "The past is never dead. It's not even past." Mot à mot : "Le passé n'est jamais mort. Il n'est même pas passé". Proust, déjà (Côté de Guermantes) : "Le passé non seulement n’est pas fugace, il reste sur place."


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La FontaineLa jeune Veuve. Entre mille beautés et autant de finesses, cet effet de rime : atours, amours : 

Le deuil enfin sert de parure,

En attendant d'autres atours.

Toute la bande des Amours

Revient au colombier.

Les atours anticipent sur les amours, les annoncent, les préparent, font leur lit acoustique ; le dehors exprime le changement du dedans avant même que le dedans se soit aperçu qu'il a changé. 


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Bacon (le philosophe), dans son texte très (trop ?) connu sur la fourmi, l'araignée et l'abeille s'inspire, dit-on, de Montaigne, de ses abeilles qui "pillotent les fleurs". Paradoxe : pour une fois c'est l'Anglais qui est abstrait, didactique, assez raide dans ses analogies. Son texte n'a rien de sensible, d'olfactif. C'est Montaigne qui a le don en principe anglais de la sensation dans ce qu'elle a de singulier ; son savoir est encore enraciné dans la saveur, la sapidité.

pour rappel : 

Montaigne I, XXV : De l'institution des enfants : Les abeilles pillotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur ; ce n'est plus thym, ny marjolaine

Bacon, Novum organum, Livre I, 95 Traduction Malherbe et Pousseur (PUF 1986) : "Ceux qui ont traité des sciences furent ou des empiriques ou des dogmatiques. Les empiriques, à la manière des fourmis, se contentent d'amasser et de faire usage ; les rationnels, à la manière des araignées, tissent des toiles à partir de leur propre substance ; mais la méthode de l'abeille tient le milieu : elle recueille sa matière des fleurs des jardins et des champs, mais la transforme et la digère par une faculté qui lui est propre. Le vrai travail de la philosophie est à cette image. Il ne cherche pas son seul ou principal appui dans les forces de l'esprit ; et la matière que lui offre [sic] l'histoire naturelle et les expériences mécaniques, il ne la dépose pas telle quelle dans la mémoire, mais modifiée et transformée dans l'entendement. Aussi, d'une alliance plus étroite et plus respectée entre ces deux facultés, il faut bien espérer." 


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Montaigne encore, et son langage :

Hugo Friedrich, dans son essai sur Montaigne, trad. Rovini, rééd 1984, p. 376 : « On est frappé [...] par l’aversion de Montaigne pour les mots strictement définis. Ceux qu’il emploie sont pleins d’incertitude et d’équivoque. Ses termes favoris [...] veulent dire tantôt ceci tantôt cela. Ils ne tiennent pas leur sens, conforme à l’intention immédiate, de l’usage traditionnel ou d’un emploi personnel conséquent, mais chaque fois du contexte. »


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Le sujet humain, estompé au profit d'événements qui semblent se produire seuls, d'eux-mêmes, par un style (et une philosophie) qui esquive la cause au profit de l'effet :

FlaubertBouvard et Pécuchet chap. VI :

"Un tambour retentit, une croix d'argent se montra ; ensuite, parurent deux flambeaux que tenaient des chantres, et M. le curé avec l'étole, le surplis, la chape et la barrette."

... Chantres et curé bien tardifs : jusque là, tout s'est passé sans eux.