« Lolita, light of my life, fire of my loins. My sin, my soul. Lo-lee-ta: the tip of the tongue taking a trip of three steps down the palate to tap, at three, on the teeth. Lo. Lee. Ta.
She was Lo, plain Lo, in the morning, standing four feet ten in one sock. She was Lola in slacks. She was Dolly at school. She was Dolores on the dotted line. But in my arms she was always Lolita. »
Nabokov, Lolita, incipit, traduction ? :
“Lolita, luz de mi vida, fuego de mis entrañas. Pecado mío, alma mía. Lo-li-ta : la punta de la lengua emprende un viaje de tres pasos desde el borde del paladar para apoyarse, en el tercero, en el borde de los dientes. Lo. Li. Ta. Era Lo, sencillamente Lo, por la mañana, un metro cuarenta y ocho de estatura con pies descalzos. Era Lola con pantalones. Era Dolly en la escuela. Era Dolores cuando firmaba. Pero en mis brazos era siempre Lolita.”
Nabokov, Lolita, incipit, traduction ? :
"Lolita, Licht meines Lebens, Feuer meiner Lenden. Meine Sünde, meine Seele. Lo-li-ta. Die Zungenspitze macht drei Sprünge den Gaumen hinab und tippt bei Drei gegen die Zähne. Lo. Li. Ta. Sie war Lo, kurz Lo, am Morgen, 1,50 m groß in einem Söckchen. Sie war Lola in Hosen. Sie war Dolly in der Schule. Sie war Dolores von Amts wegen. Aber in meinen Armen war sie immer Lolita."
Nabokov, Lolita, incipit, traduction Kahane
« Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lolita : le bout de la langue fait trois petits bonds le long du palais pour venir, à trois, cogner contre les dents. Lo. Li. Ta.
Elle était Lo le matin, Lo tout court, un mètre quarante-huit en chaussettes, debout sur un seul pied. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l’école. Elle était Dolorès sur le pointillé des formulaires. Mais dans mes bras, c’était toujours Lolita. »
Nabokov, Lolita, incipit, traduction Couturier
« Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lii-ta ; le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper, à trois, contre les dents. Lo. Lii. Ta.
Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l'école. Elle était Dolores sur les pointillés. Mais dans mes bras, elle était toujours Lolita. »
Ce magnifique poème en prose est, comme il se doit, impossible à rendre en raison même de sa richesse et de son originalité. Il pose des problèmes aussi peu solubles que le "Now" qui ouvre Richard III...
1.
Le nom est prononcé à l'espagnole, avec l'accent sur l'avant-dernière syllabe (paroxytonique) ; la graphie "Lee" l'indique clairement) ; donc aussi avec un T bien net (la description de la bouche l'indique clairement), un T qui ne tend pas du tout à devenir un D comme en anglais. On a accusé Nabokov de mal décrire la disposition buccale, croyant que ce polyglotte anglicisait la prononciation du prénom.
2.
Allitérations
Cinq L : Lo-Li-Light-Life-Loins ; puis S-S. Puis une vertigineuse rafale de T (9 !) avec laquelle Nabokov se met en concurrence avec Shakespeare, et, ma foi, il soutient la comparaison :
(Romeo & Juliet) "jocund day stands tiptoe on the misty mountaintops."
3.
inconvénient d'avoir à transposer les mesures anglo-saxonnes ; le problème est classique ; il vaut mieux transposer, pour que cela évoque quelque chose au lecteur, plutôt que de jouer sur le seul facteur de l'exotisme métrique.
[suivent deux gros problèmes en 3 syllabes : "in one sock"]
4.
Le singulier du mot renvoie à au moins deux épisodes du roman ; il est souligné par le "one". Ne pas le mentionner, c'est perdre beaucoup. Mais le mentionner est malcommode en français ; "en chaussettes" ne convient pas car affirme le pluriel ; "avec une seule chaussette" est interminable, on y perd la saveur typiquement nabokovienne de l'allusion libidineuse par laquelle on est amené à voir Lo dans la tenue précise et réduite où HH la préfère...
Couturier modifie la phrase pour conserver ce singulier essentiel ("avec son mètre quarante-six et son unique chaussette") ; mais le 'et' sépare des éléments qui sont l'objet d'une seule appréhension
Faut-il aller loin dans la discrétion allusive ? : "un mètre quarante-six en chaussette" ? Le lecteur peut ne rien remarquer, ou croire à une coquille (ô, superficiel lecteur !).
5.
'sock' : 'chaussette' ? ou 'socquette' ? Dans l'ensemble du roman, les deux traducteurs français alternent, et je crois que c'est judicieux. Mais dans cet incipit, ils optent pour 'chaussette' ; il me semble pourtant que 'socquette' serait plus dans la tonalité... "rêveuse" du passage. Combiné avec l'unicité, on a une vision très humbertienne, minimale (pour Humbert comme pour Plotin, la perfection vient non en ajoutant, mais en ôtant...)
6.
"on the dotted line". Mot à mot : 'sur la ligne pointillée'. C'est très gênant à traduire ; d'abord parce que le son (dotted) fait écho à Dolores ; ensuite et surtout parce que cette formulation allusive, parfaitement saisie par un lecteur anglo-saxon, risque n'être pas évidente pour un lecteur français. Les solutions espagnole (cuando firmaba) et allemande (von Amts wegen) ont leurs qualités (surtout la rapidité). Kahane est précis mais trop long : "sur le pointillé des formulaires". Couturier est bref et fidèle, mais pas clair : "sur les pointillés." La question (unanswered question) est : le lecteur de la version française est-il accoutumé à ces pointillés invitant à signer, ou y voit-il une invitation à découper le papier selon lesdits ?
7.
La version allemande telle que je l'ai trouvée sur la Toile (sujette à caution) ne comporte pas de retour d'alinéa en milieu de poème. Ce retour importe certes pour le rythme des 'strophes', mais aussi pour l'enserrement de tous les éléments dans le nom. Le roman a pour titre le nom du personnage. Le premier mot et le dernier mot du roman sont ce même nom. Le poème en prose de l'incipit commence et finit par lui. Il ne faut donc pas négliger que la première "strophe" elle aussi commence et finit par lui (orthographié autrement) : l'alpha et l'oméga.