mardi 3 août 2021

Céline (assonances)


Dans ses derniers romans, Céline se plaît à insulter son éditeur (Gaston Gallimard), ainsi que le directeur de la revue-phare de la maison (Jean Paulhan, à la NRF). C'est inédit, et cocasse. Nimier, qui faisait tant bien que mal le go-between entre l'auteur et l'éditeur, disait parfois à Céline, pour le motiver à écrire, que Gaston était tout triste de ne plus recevoir ses lettres d'insultes, que ça lui manquait... 

On peut aimer Valéry, goûter la sinuosité du son 'u' dans "La flûte sur l'azur enseveli module"), et être sensible néanmoins à de tout autres formes de poésie, à un usage tout différent, plus rude, du langage et de l'assonance.


Car très belle aussi, dans son genre est cette caractérisation de Gaston, dans D'un Château l'autre : 

"...l’achevé sordide épicier, implacable bas de plafond con..."

On reconnaît le goût de Céline pour l'accumulation, l'entassement brut de qualificatifs peu louangeurs, redondants à plaisir, qui font masse, qui font avalanche : tout fait ventre pour l'imprécation. Ainsi Céline lui-même se décrit-il, également dans D'un Château l'autre : 

'... j’ai pas toujours été ce que je suis, pauvre pourchassé loquedu tordu ruine…'

On entend ici l'assonance, qui est même une rime interne : "loquedu - tordu).


C'est dans ce procédé d'assonance que brille le portrait de Gaston (on pourrait dire, comme dans le Voyage, "un portrait express au caca fumant"). 

On a un écho simple entre achevé et épicier. 

Mais on a surtout une merveilleuse rafale de a , digne de l'incipit de Salammbô : 

implacable bas de pla

 Et, pour conclure, une brutale insistance sur "on" qui clôt le portrait, comme chez Rimbaud les deux trous rouges du Dormeur du val, ou les pontons conclusifs du Bateau ivre. 

Pour mettre en relief ce qu'elle a de singulier, la phrase pourrait être lue en détachant les syllabes et en martelant chacune de façon très égale : 

la

che

 

sor

di

pi

cié 

im

pla

ca

ble 

ba 

de 

pla

fon

con

On y sentirait mieux le durcissement du ton (é -> a -> on), et la double détonation finale, qu'on ne peut éviter d'associer au prénom de la victime : Gaston.