mercredi 20 octobre 2021

Guérison par les Dieux


Le philosophe grec Épicure et son disciple latin Lucrèce voyaient l'origine de la religion dans la psychologie humaine. Devant un événement anormal ou dangereux, rien n'est plus angoissant que l'absence de toute explication. Comme les hommes d'autrefois avaient très peu de compétence scientifique ils devaient donc, pour combler cette angoissante béance, recourir à un expédient quelconque. N'importe quelle explication, si fumeuse, si absurde qu'elle fût, valait mieux qu'une absence d'explication. L'angoisse y trouvait au moins un point de fixation, une sorte de localisation, donc une limitation. D'autant que l'hypothèse d'une intervention divine offrait de beaux avantages. Les dieux en question, supposés à l'origine de nos maux et de tous les événements funestes, étaient d'une nature très étrangère à la nôtre : leurs actions pouvaient donc nous sembler absurdes sans que ce fût motif à critiquer de telles interprétations. Et leur statut supérieur des puissances divines leur permettait aussi de changer d'avis à tout instant : la contradiction faisait partie du programme. C'est pourquoi on a pu dire de la religion qu'elle était "l'asile de l'ignorance". Quand un fait nous laisse courts, nous pouvons toujours renvoyer aux dieux et au mystère de leurs volontés parfois perverses et toujours incohérentes pour nos chétifs esprits.  

En va-t-il autrement, de nos jours, quand nous présentons à un médecin des maux qu'il ne parvient pas à cerner, dont l'origine, la nature, lui échappent ? ou qui, simplement, demanderaient une attention à leur singularité, donc un effort, et du temps... Il nous renvoie à notre psychisme comme à une divinité obscure, interne cette fois et non plus située dans des mondes lointains. Le "facteur psy" est un commode asile de l'ignorance, une façon de botter en touche, de se débarrasser du patient en le refilant à un psy qui le lanternera assez longtemps, espère-t-on, pour qu'une rémission spontanée d'origine indéfinie vienne faire croire à l'efficacité d'une thérapeutique supposée universelle. 

"Quand on ne comprend pas, on dit que c'est nerveux" (Labiche, La Poudre aux yeux)


en appendice :

Queneau évoque le livre du Dr Carson, sur la difficulté des patients à décrire leurs symptômes. Certes. Mais 50 ans après, on pourrait aussi se poser la question inverse : un patient qui décrit ses symptômes avec précision, vocabulaire, nuances, et qui sent bien que le médecin peu lettré en face de lui ne comprend rien à ce langage trop élaboré pour lui. Le regard du médecin... vide, ennuyé, agressif, qui en veut à son patient de lui faire perdre son temps à ces foutaises, et qui lui coupe bien vite la parole pour prescrire une batterie d'analyses standard.