Presque tous les 'spécialistes', les 'experts' etc. qu'on entend dans les média tiennent par-dessus tout à n'avoir pas l'air professoral (horresco referens !), et pour cela emploient à tout propos et hors de propos des expressions imagées, populaires, argotiques, fun, trendy etc. Un propos, ostensiblement flou dans sa forme, peut se permettre de l'être dans son contenu - et passez muscade ! Un propos sérieux, univoque, dosé, serait bien peu sexy, bien peu glamour pour un public camé au fun depuis des décennies.
Il serait facile de démontrer comment, aidées par la rapidité de l'oral, ces tournures approximatives, ces métaphores douteuses, ces locutions au sens vacillant, ces formules de comptoir permettent d'entrelarder un discours de jugements de valeur, de morale, d'idéologie, de parti-pris politiques etc.
Mais ne considérons pour l'instant que le flou du propos, sur un exemple très neutre et très anodin en apparence.
Que signifie la formule "Z est un pion dans le jeu de X" ?
- Z joue (volontairement, ou non ?) un rôle en faveur de X
- Z joue un rôle mineur (ce n'est qu'un pion)
- Z est manipulé par X (il est passif, éventuellement idiot utile)
- Z joue un rôle important ; si on connaît les règles du jeu d'échecs, on sait que le pion avancé ne peut plus reculer, qu'il fixe, qu'il cloue.
Entre les interprétations possibles, l'auditeur peut faire son shopping (de préférence selon ses préjugés). Il ne reçoit pas un message univoque et responsable de son sens ; on lui donne (cadeau !) le choix entre des degrés de plausibilité dans l'éventail des sens de ce qui lui est dit par l'expert.
Très commodes, ces formules à l'emporte-pièce qui permettent de masquer la faiblesse de la pensée et (ce qui n'est pas du tout incompatible) de faire une propagande par le flou.