vendredi 28 janvier 2022

Genet et la Trinité


Je ne lis Genet (et les études sur lui) que très peu, et plutôt par accident. Il est donc très probable que ce qui suit a été bien noté déjà. 

Je trouve cette citation dans l'article Genet, la guerre de soi, de G. Artous-Bouvet :

Genet, Pompes funèbres, rééd Tel, p. 7 :

"En écrivant le mot hitlérien, où Hitler est contenu, c’est l’église de la Trinité, toujours sombre et assez informe pour paraître l’aigle du Reich, que j’ai vue s’avancer sur moi. Pendant un très court instant, [...] je fus comme médusé, effroyablement attiré par ces pierres dont j’éprouvais l’horreur, mais qu’englué, mon regard ne pouvait quitter. Je sentais que c’était mal de regarder ainsi, avec cette insistance et cet abandon, pourtant je regardais."

Difficile de ne pas penser à Notre-Dame de Paris, si nettement en forme de H, que Hugo a tant glorifiée. 

Mais, si l'on regarde cette église parisienne en songeant à Genet, faut-il avoir très mauvais esprit pour songer à autre chose ? 

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_de_la_Sainte-Trinit%C3%A9_de_Paris#/media/Fichier:%C3%89glise_de_la_Sainte-Trinit%C3%A9_de_Paris_Face.JPG

autre chose qu'on pourrait dire grâce à la raillerie du Neveu de Rameau : "come un maestoso cazzo fra duoi coglioni". 

On se trouve là devant un exemple de cet amusant cas de conscience évoqué par ??? — je ne sais plus qui ; un universitaire, je crois, à propos de Nabokov peut-être — mais enfin qui disait en substance : quand un érudit, un universitaire, songe, à propos d'un auteur, à une interprétation obscène, il se sent un peu gêné aux entournures : ne va-t-on pas lui attribuer une surinterprétation subjective, et donc voir en lui un obsédé de la chose ? 

Pour ma part (il faut bien s'excuser un peu), je me suis fait la remarque que l'évocation d'un aigle était peu évidente ; puis, je l'avoue, les goûts de Jean Genet favorisent certaines interprétations... Quand Genet se sent englué, fasciné, on peut penser aux harmoniques de ce dernier mot telles que repérées par P. Quignard : 

 "En reprenant les textes, je me suis aperçu que le mot phallus n'est jamais employé en latin. Les Romains appelaient fascinus ce que les Grecs nommaient phallos. Du sexe masculin dressé, c'est-à-dire du fascinus, dérive le mot de fascination, c'est-à-dire la pétrification qui s'empare des animaux et des hommes devant une angoisse insoutenable. Les fascia désignent le bandeau qui entourait les seins des femmes. Les fascies sont les faisceaux de soldats qui précédaient les Triomphes des imperator. De là découle également le mot fascisme, qui traduit cette esthétique de l'effroi et de la fascination."

(entretien Gallimard à la parution du livre Le Sexe et l'effroi")

https://www.gallimard.fr/catalog/entretiens/01025213.htm