Baudelaire, c'est très beau ; les rimes sont riches — parfois un peu trop ; presque équivoquées. Parfum exotique par exemple :
Encor tout fatigués par la vague marine,
Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.
Pour un livre qui me semble très peu lisible, un titre curieusement intéressant : L'amour palimpseste... Car tout amour a bien quelque chose d'un palimpseste ; cf. Proust : quand on aime, on aime toujours autre chose, et autre chose d'avant, qui transparaît en filigrane. Mais dans ce titre s'entend aussi un étonnant double calembour : "L'amour, pas l'inceste", bien sûr. Mais aussi, plus risqué : "L'amour, pâle inceste..."
Michael Edwards insiste avec raison sur le choix, en anglais, entre les mots d'origine saxonne (monosyllabiques, concrets), et les mots d'origine latine ou française (polysyllabiques, abstraits, généraux). Or on trouve quelque chose d'analogue chez Molière, dans Les Femmes savantes : "tout esprit n'est pas composé d'une étoffe / Qui se trouve taillée à faire un philosophe". La rime est parfaite, ce qui fait d'autant plus ressortir le contraste entre le bon vieux mot germanique "étoffe" (stoff, le tissu, le matériau, le matériel, la bourre, l'étoupe), et le mot (mieux encore que latin !) grec, polysyllabique, composé, savant, et désignant comme de juste le savoir lui-même. C'est très habile. C'est efficace quant au son, quant sens, et quant aux échos culturels. Avec, en prime, un poids supplémentaire donné au simple bon sens par l'utilisation du mot "taillée", qui file la métaphore concrète de l'étoffe.
Un titre de Sade (certainement très remarqué) chez Marivaux, dans La vie de Marianne : "j'avais mon infortune qui était unique ; avec cette infortune, j'avais de la vertu, et elles allaient si bien ensemble !"
Un même thème, traité par deux auteurs à peu près contemporains :
- Colette, Claudine en Ménage (1902):
"Qu’elle est jolie ainsi penchée ! Sa jupe, collée en torsade par la vivacité de son geste, la révèle toute."
- Valéry, La jeune Parque (1917) :
"Si la robe s’arrache à la rebelle ronce,
L’arc de mon brusque corps s’accuse et me prononce,
Nu sous le voile enflé de vivantes couleurs"
Beauté, poésie et noblesse de cette phrase de Gadda (Pasticciaccio, trad. Manganaro) :
"Le rubis et l’émeraude s’affirmèrent corporellement sur la pauvreté grise du drap, ou de l’élimé, dans la splendeur muette et close qui est inhérente à l’autonomie de certains êtres et en souligne la rareté, la dignité naturelle et intrinsèque."
Rubino e smeraldo si nominarono corporalmente sulla povertà bigia del panno, o del liso, nel chiuso, muto splendore che è connaturato all’autonomia di certi esseri e ne significa la rarità, la dignità naturale ed intrinseca
Gary-Ajar, dans Gros-câlin, reprend de façon assez systématique un mode d'écriture qui a été parfaitement caractérisé par Leo Spitzer à propos de Charles-Louis Philippe : la "pseudo-motivation objective". Pour faire simple : on attribue aux actions humaines, de façon directe, une cause dans le monde, dans les choses. Exemple (inventé) : "elle s'est retrouvée enceinte à cause du printemps." Cette tournure contribue grandement à donner au discours quelque chose de naïf, de touchant ; entre naïf et niais, mais qu'on aurait envie de faire passe du côté de la naïveté. Une façon innocente de s'innocenter.
Jarry chez Rabelais, ce n'est pas surprenant, mais ici, c'est criant : Gargantua : "... oncques ne veistes homme qui eust plus grande affection d’estre roy et riche que moy, affin de faire grand chere, pas ne travailler, poinct ne me soucier, et bien enrichir mes amys..."