lundi 16 décembre 2019

Jean de la Croix : 'Nuit obscure' (traduction M.P.)



Par une nuit obscure,
d'angoisses, d'amours enflammée,
- ô l'heureuse aventure ! -
sans bruit m'en suis allée
de ma demeure ensommeillée.

Dans la ténèbre sûre
j'empruntai, toute déguisée,
- ô, l'heureuse aventure ! -
l'escalier dérobé
dans ma demeure ensommeillée.

Dans la nuit insolite
qui me cachait sous sa noirceur
je me trouvai conduite
rien que par la lueur
qui brûlait au fond de mon cœur.

Elle  me conduisait
plus clairement que le plein jour
à celui que je savais
m'attendre en un séjour
de quiconque désert à l'entour.

O nuit qui me guidas !
L'aube doit être moins louée !
O nuit qui composas
l'Amant avec l'aimée,
l'aimée en l'Amant transformée !

Le sein épanoui
qui pour nul autre se gardait,
il s'y est endormi
comme je m'y offrais,
dans l'air que les cèdres berçaient.

Sur les tours, une haleine,
alors que je le décoiffais,
de sa main très sereine
sur mon col se jouait
et tout mon sens se suspendait.

Demeure et oublie-moi,
la face inclinée sur l'Aimé ;
cesse tout ; quitte-moi,
prudence abandonnée
au milieu des lis oubliée.




En una noche oscura,
con ansias, en amores inflamada,
¡ o dichosa ventura !
salí sin ser notada,
estando mi casa sosegada.

Ascuras y segura
por la secreta escala, disfraçada,
¡ o dichosa ventura !,
a escuras y en celada,
estando ya mi casa sosegada.

En la noche dichosa,
en secreto, que nadie me veya,
ni yo mirava cosa,
sin otra luz ni guía
sino la que en el coraçon ardía.

Aquesta me guiava
más cierto que la luz del mediodía
adonde me esperava
quien yo bien me savía
en parte donde nadie parecía.

¡ O noche, que guiaste !
¡ O noche, amable más que el alborada !
¡ O noche que juntaste
Amado con amada,
amada en el Amado transformada !

En mi pecho florido,
que entero para él solo se guardaba,
allí quedó dormido,
y yo le regalaba,
y el ventalle de cedros ayre daba.

El ayre del almena,
quando yo sus cavellos esparcía,
con su mano serena
en mi cuello hería,
y todos mis sentidos suspendía.

Quedéme y olbidéme,
el rostro recliné sobre el Amado ;
cessó todo, y dexéme,
dexando mi cuydado
entre las açucenas olbidado.