lundi 30 décembre 2019

La passion de J.-K. Huysmans


On n’est pas très bien loti en ce qui concerne les biographies de Huysmans. La seule sérieuse date des années 50, et les autres... enfin passons. 
Je n’ai rien trouvé de nouveau ces dernières années concernant sa maladie finale. Pourtant, il y aurait au moins de quoi s’interroger, d’un point de vue médical et psychologique.
Il y a quelques années, il a été beaucoup question dans les média du cancer de la bouche de Michael Douglas, et de son lien avec ses pratiques sexuelles bucco-génitales. Or ce n’est depuis longtemps un secret pour personne que telle était la passion (au sens sadien de ‘perversion favorite’) de Huysmans. Sa correspondance avec Prins et avec Hannon ne cesse d’en faire mention et grand éloge ; un poème particulièrement scabreux est centré sur ce goût singulier. En outre, Huysmans était un grand fumeur : il fumait encore quand il n’avait plus de bouche et il est mort la cigarette à la main. Il pratiquait sa passion avec des prostituées dont la santé était vraisemblablement douteuse (il parle de « manger les bonbons de la prostitution »).
Il a eu sans cesse de terribles problèmes de dents (dont on trouve l’écho dans un chapitre célèbre d’ À Rebours), mais de sérieux problèmes aussi d’entrailles, d’hypocondrie, de névralgies. Sa fin a été un calvaire (ceci est connu et décrit). On peut donc se demander si sa Passion (son martyre final) ne serait pas en rapport avec sa passion au sens sexuel. 
Dans son œuvre, on trouve des formules qui évoquent nettement l’érotisation de l’oralité. Entre bien d’autres exemples (qu’il faudrait cataloguer pour étayer cette hypothèse) il appelle les bordels des « buvettes d’amour » (Marthe). Des Esseintes se délecte d’un « orgue à bouche » par lequel il compose des cocktails raffinés en savants contrepoints. Dans son étonnant et très beau Poème en prose des viandes cuites au four, on lit : « le célibataire sombre, corps et biens, apercevant dans un lointain mirage un joyeux tourne-broche, rouge comme un soleil, devant lequel passent lentement, jutant à grosses gouttes, de tout puissants rumstecks. »
Il nomme poétiquement sa passion « mâcher la rose » ; et il dit finalement de son calvaire : « C’est la vraie croix, celle-là, et sans rose », allusion chrétienne et ésotérique - et autre, vraisemblablement.
On a beaucoup glosé sur la dimension mystique de cette agonie. On y a vu une punition de l'écrivain pour son usage transgressif du langage. On a fait des hypothèses analogues pour la maladie de Freud, grand fumeur lui aussi, mais le parallèle doit probablement s’arrêter là. 
On dit qu’il a été puni par là où il a péché ; mais peut-être aussi par où il a léché.