mardi 16 novembre 2021

Du perçu au conçu - et retour ?

 

(Panorama de la pensée occidentale)

1/ la relation naturelle au monde, tel qu'il apparaît ; la perception ; la vision 'naïve' - mais qui n'est désignée comme telle que du point de vue de l'étape suivante (le naïf, par nature, ne se sait pas naïf).


2/ la raison (la contradiction rationaliste) ; ne plus voir, mais penser ; ne plus compter, mais mesurer ; se détacher du monde, rejeter les apparences (de Platon à Descartes, de la Caverne au poêle). Mais c'est bien  peu respirable pour la sensibilité . D'où le passage à :


3/ la phénoménologie, les choses telles que perçues, le retour aux choses mêmes. Désormais, se débarrasser des concepts (ceci, particulièrement sensible en esthétique : retrouver la vision innocente, le regard d'enfant). 

Cette 3° étape ressemble beaucoup (comme il se doit) à la première. Est-elle synthèse, partage des tâches et compétences ? En ce cas, entre raison et vécu, chacun son domaine (Bachelard). Ou bien est-elle régression, mélange des genres ? La relégitimation du ressenti est-elle un équilibre trouvé entre raison et affects, ou bien une contamination de la (difficile) faculté de penser par la (facile) faculté de sentir ? Autrement dit : la dictature du micro-trottoir. 


De 2 à 3, on est passé de : ontologie et rationalité à : phénoménologie et affectivité. Désormais, c'est le primat du vécu. On est passé, singulièrement, du beau (dans la chose) à l'esthétique (dans la perception de la chose). La fracture se produit au XVIII° s., qui est à la fois le siècle de la raison (Lumières, lumière naturelle), et celui de la sensibilité (Baumgarten, Sterne, Diderot, Austen). Au XVIII° s., on est encore cartésien mais on est aussi empiriste (Hume). On sent chez Rousseau le grincement entre une persistance platonicienne et une aspiration romantique. La "poésie" devient une manière de vivre et se sentir, et cette priorité de l'affect va se généraliser. La philosophie va se rapprocher de l'esthétique, voire se régler sur elle (Nietzsche). 

Par exemple, on passe de la métaphore motivée et présentée comme telle, à de curieuses inversions. Valéry, prétendu classique, nous montre "Ce toit tranquille", pour nous révéler seulement ensuite qu'il s'agit de la mer, perçue comme un toit (il fut critiqué pour cette inversion de l'ordre rationnel / traditionnel). De même, quelques années plus tôt, chez Apollinaire : "Bergère, ô tour Eiffel", au lieu de "Tour Eiffel, ô, bergère..." qui n'aurait été moderne que par le contenu (la construction métallique) et non par la forme, seule vraiment importante.

J'ai déjà été amené à dire que, dans la littérature française, le progrès de l'antéposition de l'adjectif, qui est plus affective que sa postposition, crée un léger flou où la qualité éprouvée subjectivement flotte sans substrat objectif. Or ce n'est que de façon accidentelle que cette antéposition est un anglicisme ; foncièrement, elle signale la présence et l'autorité de la poésie dans la prose même. 


[à suivre : http://lecalmeblog.blogspot.com/2021/11/du-percu-au-concu-et-retour-suite.html]

 

cf. 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2021/12/rousseau-subjectivite.html