Je n'ai pas spécialement envie de dire du mal de Houellebecq ; mais il faut que j'en dise de son "gros dernier". En trois (ou quatre) mots : long ; pas bon ; raté (le premier résultant des autres).
1/ Pas bon :
Bien peu de verve, de mordant. Le plaisir de lecture est très mince ; même, l'ennui guette. La langue est souvent relâchée, dans les deux sens (phrases mal construites, et dénuées de caféine stylistique).
Les thèmes sont usés, les commentaires attendus. Un passage excellent, d'une page (cité ici) mais qui relève de l'édito (très réussi) plus que du roman. Si le roman avait été le déploiement fictionnel de ces idées, on aurait eu je crois un grand livre. Mais cette page sent la pièce rapportée dans une narration qui, elle, semble interminable...
2/ raté :
Ce ne peut être que très long, puisqu'il y a trois romans en un, qui ne se coordonnent presque pas.
On a 1) un roman du ratage familial et conjugal, qui dure déjà beaucoup trop... Entrelardé par 2) un roman d'anticipation politique, qui, au moins pique la curiosité. Vient le moment (tardif) où les deux entrent en contact ; on croit que les deux thèmes vont s'entretisser - et puis non, ils ne font que se croiser en se disant à peine bonjour. On attaque alors 3) un autre roman (prévisible sur un indice qui se veut discret mais qui n'avait pas échappé à ma sagacité) sur la maladie, qui annule les deux romans précédents, qui les "débranche"... Ce roman n° 3, sur la maladie gravissime, est lui aussi long, détaillé, complaisamment précis sur les thérapeutiques (pas drôles) et les méditations (pas originales) du malade. Peut-être l'auteur a-t-il voulu montrer que les entreprises politiques et sociales sont irrémédiablement et arbitrairement annulées par la maladie ?
Pour qui connaît la biographie de Huysmans (très présent dans Soumission), la maladie en provient très directement. Cf. mon ancien billet :
http://lecalmeblog.blogspot.com/2019/12/la-passion-de-j-k-huysmans.html
... et d'ailleurs, dans Soumission, Houellebecq anticipe très explicitement son roman suivant quand il écrit : "j'allais attraper par exemple un cancer de la mâchoire, comme Huysmans, c'était un cancer fréquent chez les fumeurs, Freud aussi en avait eu un, oui, un cancer de la mâchoire paraissait plausible. Comment est-ce que je ferais, après une ablation de la mâchoire ?"
À la jointure de 2) et 3), la restauration des relations conjugales n'est guère crédible ; l'auteur semble ne pas se soucier de la rendre telle - mais il en avait manifestement besoin pour la suite.
Et ça finit comme ça, sans finir d'ailleurs, sur la perspective d'avoir à mourir sous peu, ce qui n'est pas drôle, mais pas intéressant non plus.
L'anticipation politique est plutôt amusante ; elle reprend la tonalité de Soumission. Le versant terroriste high-tech est le plus appétissant, mais il tourne très court. Les médias ont surtout parlé du ministre qui, dans le roman, est (jusque dans son nom) le décalque de l'actuel ministre de l'Économie. Je n'y avais pas pensé, et je les remercie de me l'avoir signalé.
Je n'ai pas envie disais-je de dire du mal de Houellebecq : sa posture m'agace, sa médiatisation outrancière m'est pénible et, surtout, ses romans antérieurs sont selon moi très inégaux.
Extension était une magnifique réussite, avec des idées et des situations, de la rapidité, beaucoup de mordant : le coup de maître d'un écrivain qui a de la patte dès son coup d'essai.
Les Particules avai[en?]t une grande ambition intellectuelle, bien soutenue par l'écriture et la construction (la gageure était audacieuse). L'énorme vague médiatique n'empêchait pas que ce fût un roman important.
Plateforme, moins ambitieux, fonctionnait bien, et a bénéficié de son aspect prophétique.
Malheureusement, La Possibilité d'une île était selon moi un désastre, illisible, périssant d'ennui ; de grandes ambitions, comme les Particules, mais la "réalisation" tenait du naufrage.
Avec La Carte et le territoire, on retrouvait de grandes ambitions, ma foi très bien soutenues par l'écriture, la construction et les situations.
Soumission se lisait bien, agréablement ; amusant, bien que l'auteur semblât ne s'être pas trop fatigué, mais grosso modo, ça marchait. Un universitaire spécialiste de Huysmans, cela peut faire un bon pivot pour un roman de légère anticipation, et on peut imaginer que c'est cela qui a décidé la Pléiade à gommer (assez mal) cette honte de n'avoir pas admis Huysmans dans son empyrée.
Sérotonine, bof bof, ça tournait en rond, bien plat, rien de bien nouveau, un livre pour rien.
Puis anéantir, donc.
Je conclurai en parodiant Woody Allen : le néant, c'est long, surtout au bout de 700 pages...
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Post-scriptum autobiographique : comment j'ai découvert Houellebecq.
[ réécriture de Socrate découvrant Anaxagore (Platon, Phédon 96 a-99 d) ... et de Malebranche découvrant Descartes]
Partout, on parlait des Particules ; on voyait son auteur sur les écrans. Mauvais signe. À la Bibliothèque municipale de Bordeaux, lieu béni entre tous, j'avise en rayon un volume plus mince de cet auteur au nom bizarre. J'ouvre, et je tombe sur son article "Jacques Prévert est un con". Illumination instantanée : celui qui écrit cela ne peut pas être foncièrement mauvais...
J'ai mis en ligne cet incipit qui me fut un Chemin de Damas houellebecquien :
https://lelectionnaire.blogspot.com/2020/11/houellebecq-prevert.html
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... en annexe, quelques miettes, anecdotiques :
On lit
1/ "ce n’est pas de ça dont je voulais vous parler pour le moment"
D'accord, c'est dans le propos d'un personnage, rapporté entre guillemets ; c'est peut-être pour le faire parler de façon défectueuse.
Mais mais mais... ce qui suit n'est pas un propos rapporté :
2/ "ce n’était pas seulement des autres dont il avait du mal à se souvenir"
3/ une belle anacoluthe :
"Fervente admiratrice d’Hitler, ses écrits annonçaient par ailleurs les thèses de l’écologie profonde"
4/ une phrase cocasse :
"Où était passée Cécile ? elle avait disparu au milieu de la tarte aux pommes."
5/ En revanche, une phrase qui fait mouche, vite et bien :
"elle c’était juste une pauvre sans commentaires"