dimanche 16 janvier 2022

Céline : bouches [textes 2 : Mort à crédit + Casse-pipe]


Mort à crédit 


Hurlant de joie... Urètre plein, aiguilles ! Guizot tout fendu ! Bite en bouche ! En avant la fente !

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Elle m’invitait aux caresses. J’y coupais donc pas. C’était froid et rêche et puis tiède, au coin de la bouche, avec un goût effroyable.

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il a tiré sur elle d’abord et puis sur lui-même, ensuite, une balle en pleine bouche. Ils sont morts dans les bras l’un de l’autre.

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Ils jouaient ensemble toute l’année, derrière les carreaux à se mettre le nez dans la bouche et les deux mains en même temps.

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Ça débloque !... Tout un paquet me tire sur la langue... Je vais lui retourner moi tous mes boyaux dans la bouche.

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Elle s’occupait à chaque seconde de faire manger le petit Jonkind, un enfant spécial, un « tardif ». Après chaque bouchée, ou presque, il fallait qu’elle intervienne, qu’elle l’aide, le bichonne, qu’elle essuye tout ce qu’il bavait. C’était du boulot.

Ses parents, à lui, au crétin, ils restaient là-bas aux Indes, ils venaient même pas le voir.  C’était une grande sujétion, un petit forcené pareil, surtout au moment des repas, il avalait tout sur la table, les petites cuillers, les ronds de serviettes, le poivre, les burettes et même les couteaux... C’était sa passion d’engloutir... Il arrivait avec sa bouche toute dilatée, toute distendue, comme un vrai serpent, il aspirait les moindres objets, il les couvrait de bave entièrement, à même le lino.

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Je lui barbouille la gueule... Je lui ferme la bouche avec mes paumes... Le pus des furoncles, le sang plein, ça s’écrase, ça lui dégouline.

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À bout portant quoi !... Il agrippait encore le flingue... Il l’étreignait dans ses bras... Le double canon lui rentrait à travers la bouche, lui traversait tout le cassis... 

Le canon comme ça, il tenait si dur dans l’énorme bouchon de barbaque avec la cervelle... c’était comme coincé, pris à bloc, à travers la bouche et le crâne !... qu’on a dû s’y mettre tous les deux... Elle retenait la tête d’un côté, moi je tirais de l’autre par la crosse... quand la cervelle a lâché ça a rejuté encore plus fort... ça dégoulinait à travers... ça fumait aussi... c’était encore chaud... y a eu un flot de sang par le cou... Il s’était empalé raide... Il était retombé sur ses genoux... Il s’était écroulé comme ça... le canon dans le fond de la bouche... Il s’était crevé toute la tête...

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... Ils chantent en chœur... tout à fait faux... C’est étonnant comme ils arrivent à se torturer toute la bouche, la dilater, l’évaser comme un véritable trombone... Et se la rattraper encore... 

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 Un tic lui prenait toute la bouche... Il restait crispé après... Il se détendait en saccades...

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Elle arrêtait plus de renifler, de faire des bruits avec sa bouche... dès le moment qu’elle s’asseyait pour bercer un peu sa douleur...

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Il était pâteux, il était plus très bavard, il était calmé... Il faisait comme ça avec sa langue : « Bdia ! Bdia ! Bdia ! »

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Il avait tellement hurlé qu’il pouvait plus refermer la bouche... Il lui venait maintenant plein de bulles...



Casse-pipe


Il réfléchit le sous-off... il se tripote, il se malaxe... il se maltraite la bouche, il se lèche, il se mange un peu la moustache.

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Il se cramponne, il gigote encore, il pousse des cris d‘égorgé, la mousse lui monte à la bouche, des bulles, sa tête devient toute violette, ça va mal.