dimanche 16 janvier 2022

Céline : bouches [textes 4 : Féerie, Château, Nord, Rigodon]

 

Féerie pour une autre fois


Vous arrivez vous, fariné, constater le pendu... vous le trouvez la tête du double, triple, noire, violette !... et dans la bouche comme un bras, enfoncé... rouge ! verte ! sa langue qui lui pend !... la grosseur !... 

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– Léon ! Mon bras ! Jean ! Émilienne ! Mon genou ! Arthur ! ooah ! rrrrou !...

Un seul corps plein de pieds, plein de mains... ça fait qu'un corps, plein de bouches qui hurlent.

 *

il orientait tout ! et voilà !... et la langue de feu !... les charges sur charges ! la langue le ravalait pas ! pourtant elle lapait plein d'avions au-dessus ! au vol ! en plein vol... comme des mouches !... la langue ! des essaims d'avions ! elle ravalait tout dans la bouche... la crevasse du ciel... et pas le Jules ! oui ou non, fantasmagorique ? une fois cette grande langue rengloutie ! dans le trou du ciel !

 *

on vous chérit tous les organes, on vous ensirope miel d'amour, y a pas assez de douceurs de fesses, de bouches, de cœurs, d'épithètes telles rafignolées, pour ce que vous valez comme précieux

 *

Le Cléot-Depastre qui revit !... j'y étais entré dans la bouche à deux mains... sa tête sort de sous la table... il m'appelle...

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ils me le crient assez : « Docteur ! docteur ! » ils essayent en attendant de lui faire entrouvrir la bouche... [etc]

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elle est plus qu'un caillot sa tête ! son turban a gonflé encore !... de sang !... un pâté de sang toute sa tête !... juste qu'un petit trou pour la bouche !... il ronfle par ce trou... il ronfle !...

 *

on lui voit plus du tout les yeux... qu'un trou pour la bouche !... dans son caillot de tête un trou !... il grogne par là... il respire par là... il grogne plus fort que Piram !

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plus fort que moi ! comme je l'ai là contre ma figure, son gros caillot me bouche la bouche ! j'étouffe ! et c'est lui qui se plaint !

 *

je peux plus tenir !... toute ma bouche pèle !... sûrement le gosier encore plus rêche que ceux qu'ont bu !... la vraie gigite* !... je me vois la langue grossie énorme en flammes !...


*gigite = agitation + bléno + maladie de la peau, qui se délite [évocation de "gingivite" ?]




D'un Château l'autre


déjà le Loukoum, sa bouche en corolle y prête !... sa molle tortueuse... telle qu’il émet plus que des vuâââ ! wâââ !... cloaque profus de bouche !... il sera chouette d’une oreille à l’autre !"

 *

et le Loukoum pleurard !... son Loukoum ! avec !... avec !... son châtreur-maison ! goulu, le monstre ! bouche de limace, féroce à la merde, laisse rien !

 *

je l’ai traité de fiote, enculdosse, et plus ! qu’il avait la bouche incestueuse, etc...

 *

vous nous devez des sommes énormes et vous n’avez plus aucune verve !... avez-vous honte ? quand Loukoum dit verve vous entendez une drôle de chose... tellement il a la bouche lourde grasse... l’âge ! et aussi que les mots lui sortent comme moulés... la diction « cloaque »... qu’ils lui sortent par sorte d’à- coups mous

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le fusil de chasse dans la bouche ! enfoncé, profond !... et pfanng !... vous vous éclatez le cinéma !...

 *

qu’il était temps que les noirs arrivent, la scalpent ! lui coupent le bouton !... qu’elle se tairait, après!... qu’après... que le plus chouette restait à voir ! oui, nous aussi !... tout le truc dans la bouche !... qu’on parlerait plus !...

 *

il avait son compte, l’abattu !... par l’orifice de la balle un jet de sang du dos... par pulsations... et par la bouche, glouglous de sang...

 *

Mais pour le minois, pardon !... du Rochechouart et « dessous de métro »... la bouche pulpeuse-avaleuse, encore peut-être pire que Loukoum !... la bouche à avaler le trottoir, l’édicule et tous les clients, et leurs organes et les croûtons !...

 *

yeux bleu poupée !... les pommettes faites... très roses, pastel !... voilà la personne ! la bouche en sourire de poupée... mutine, avenante...

 *

sa figure... elle a un côté bien figé... l’hémi-face droite... un coin de la bouche qui se relève plus... comme Thorez...



Nord


plus de semi‑bas de soie, faux nichons, soupirs et moustaches, Roméos, Camélias, Cocus… non !… du Stalingrad !… tombereaux de têtes coupées ! héros, verges en bouche ! 

 *

pas tellement exorbitant de vous représenter les veuves de guerre en pleine cure, suralimentation par tartes, petits fours, feuilletés aux fraises… cafetières de chocolat crémeux… pas difficile ! toutes les bouches pleines, dégoulinantes…

 *

des yeux, des calots qui ressortent ; presque du « Basedow »… et plus de joues du tout !… des bouches flasques, comme de noyés… tous les trois !

 *

même pas à rentrer en France nous faire finir Villa Saïd, les organes en bouche, nous prouver que nous avions eu tort

 *

et qu'il avait la bouche baveuse, et qu'il se trémoussait

 *

 il lui vient au coin de la bouche après chaque phrase comme un petit tic… ainsi : mgü ! mgü ! assez douloureux… et puis tout de suite un sourire…

 *

il peut pas articuler il lui vient avec la bave plein de sang, par le nez, la bouche, à gros grommelots… le Rittmeister hoque… hoque… veut nous parler…

 *

Il y va… il tâte, il extirpe… c'est un « vulnéraire » qu'il amène… on goûte… les dames en avalent tant d'un coup qu'elles s'emportent la bouche… ouaah ! 



Rigodon


poumon ?... emphysème ?... peut-être ?... la bouche ?... plus que trois chicots... il s'en plaint pas...


[presque rien donc dans ce roman, sinon la mention répétée du sang dans la bouche du narrateur, suite à la fameuse "brique"]